Comment le mythe de la mère sacrificielle épuise les femmes

Lorsque j’étais enceinte, j’ai tenté de m’imaginer la mère que je voulais être. Je me projetais en mère libre, une mère qui a une carrière, des ambitions, des loisirs, des amies. 

Et puis j’ai acheté des livres, j’ai consulté des blogs, et j’ai vite déchanté. J’ai lu qu’être une bonne mère, c’était faire passer les besoins de son enfant avant les miens. C’était garder son enfant le plus longtemps possible près de soi, le porter toujours contre soi, ne le laisser pleurer sous aucun prétexte, cuisiner bio, maison et local, faire des activités Montessori, lire une histoire le soir, faire du cododo … Et moi dans tout ça ?

En réalité, je venais de découvrir le mythe de la mère sacrificielle …

Le mythe de la mère sacrificielle : de quoi s'agit-il ?

Sacrificiel, -ielle, adj. : Qui est enclin au sacrifice de soi.

La figure de la mère sacrificielle, c’est celle donc qui se sacrifie, qui n’a d’autres projets que celui d’élever ses enfants, souvent à ses propres dépens.

Elle se retrouve un peu partout. Dans la littérature, dans la peinture, dans la publicité, dans les livres, et même dans les sciences.

Ainsi, pendant longtemps, la psychologie a affirmé que les mères étaient responsables de pathologies chez l’enfant, telles que l’autisme ou la schizophrénie. On sait aujourd’hui que c’est faux.

D’ailleurs, certains courants actuels, comme le maternage proximal, placent sur les épaules de la mère l’entièreté de l’avenir de l’enfant, souvent au détriment de ses propres besoins.

Ainsi, Cécile Doherty-Bigara, autrice du livre Nouvelle mère, témoigne dans un article du webzine Madmoizelle

« Instaurer une vie familiale vraiment proche de ses enfants, être à l’écoute de leurs besoins… Ça a plein d’effets positifs, mais ça va demander aux adultes une disponibilité énorme.

Est-ce qu’elle est possible si on doit travailler pour payer les factures ? Si on ne prend pas soin de sa santé mentale et qu’on est en souffrance ? Si le père est désinvesti ?

 

Je me rends compte que les réseaux sociaux et le mouvement de la maternité proximale ont été une injonction pour moi. J’ai allaité 15 mois et j’ai gardé mon enfant à la maison pendant 20 mois.

Ça a été positif sur plein d’aspects, mais ça a aussi été une traduction de mon envie de bien faire, d’une pression que je me suis mise pour assurer à tout prix. Je pense que sinon, je l’aurais allaité et gardé à la maison moins longtemps. »

D'où vient le mythe de la mère sacrificielle ?

D’après la sociologue Danièle Kergoat, la société patriarcale s’organise autour d’une division sexuelle du travail et des activités : les hommes sont assignés au travail productif (qui vise à produire des richesses), et les femmes au travail reproductif (qui vise à reproduire et préserver la force de travail).

De cette division du travail, découlent des attentes très différentes envers les hommes et les femmes.

Des hommes, est attendue la virilité : la force, le courage, la conquête, l’honneur et la gloire sont ainsi valorisés, tandis que faiblesse et émotions sont proscrites.

Les femmes, en revanche, se doivent d’être dans le renoncement, la disponibilité face à la volonté de l’autre, et la vocation à servir

Quelles les conséquences pour les femmes ?

Ainsi, la figure de la mère sacrificielle engendre deux types de maux pour les femmes.

D’une part, l’épuisement.

Aujourd’hui, les femmes représentent 2/3 des victimes de burn-out parental. Pas parce qu’elles sont plus vulnérables, mais parce qu’elles y sont davantage exposées. Si la majorité des femmes aujourd’hui travaillent, elles assument toujours plus de 70% de la charge domestique et éducative. Cette charge, et l’intensité de la culpabilité qu’elle engendre, sont les principaux facteurs du burn-out parental.

Ainsi, parlant de sa dépression post-partum, la sociologue Illana Weizman témoigne : 

« Ce qui est assez pervers, c’est qu’on s’impose le sacrifice à nous-mêmes. On a un modèle qui nous pousse à adopter cette posture-là, et même si on la questionne en tant que féministe, on a du mal, dans la pratique, à lutter contre.

Aujourd’hui, mon fils a 3 ans et c’est moins complexe que quand il était plus petit où j’étais dans cette démarche de sacrifice. Je ne le laissais jamais pleurer une seconde, je le berçais pendant des heures pour l’endormir. Je n’arrivais même plus à me connecter à mes besoins primaires. »

D’autre part, la deuxième conséquence découle du sacrifice : il s’agit du ressentiment.

Comment ne pas en vouloir à celui ou celle pour qui nous avons tout sacrifié ? Ne pas avoir d’attentes démesurées ? Et comment ne pas être frustrée si ces attentes sont déçues ?

Comment combattre ce mythe ?

En redonnant de l'importance à vos propres besoins

Dans l’extrait du livre d’Illana Weizman cité précédemment, nous avons vu combien cet idéal de la mère sacrificielle peut nous conduire à méconnaître nos propres besoins.

Or, il est important d’être attentives à nos besoins, de la même manière que nous le sommes vis-à-vis de ceux de nos enfants.

Tout d’abord, parce que cela nous permet de connaître nos propres limites et d’identifier d’éventuels signaux d’alarme avant l’épuisement.

Ensuite, parce que si nos besoins sont comblés, nous sommes davantage disponibles pour les autres

Enfin, parce que je suis convaincue que c’est avant tout se respecter, soi. Et le respect de soi, c’est une des valeurs qui m’est chère.

Pensons à nos enfants

Cela peut paraître contre-intuitif. Pourtant, je suis certaine que ne pas se sacrifier pour nos enfants leur bénéficie également.

D’une part, nous constituons pour nos enfants un modèle, si bien que le développement du petit humain fonctionne principalement par mimétisme. Comment apprendre à nos enfants à se respecter, à s’écouter, si nous ne faisons pas nous-mêmes ?

D’autre part, le sacrifice est source de culpabilité pour l’enfant (« mes parents ont tant donné, je dois être à la hauteur de leurs attentes ») et fait peser un poids démesuré sur ses épaules. Le sacrifice peut également être source de ressentiment de la part du parent, l’enfant étant perçu, consciemment ou non, comme étant à l’origine d’une frustration (d’avoir interrompu une carrière, d’avoir rompu des liens d’amitié etc.)

Nourrissons-nous

En lien avec vos besoins, je vous conseille d’identifier des activités qui, dans votre quotidien, vous permettent de vous nourrir ou de vous ressourcer.

Cela n’a pas besoin d’être ni compliqué ni très sophistiqué : aller courir 30 minutes sur votre pause de midi, lire quelques pages avant de se coucher, prendre un verre une fois par mois avec des ami.e.s …

N’hésitez pas à ritualiser ces moments afin de ne pas vous oublier, et de les intégrer à votre quotidien !

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